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Le clairet de Charles Palmer

Hors-champ

Le clairet de Charles Palmer

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Le clairet de Charles Palmer

Dans sa vie comme dans ses vins, le hussard cultivait la finesse.

Le clairet de Charles Palmer

Le nom qui sonne aux oreilles des amateurs, de ses amoureux même, comme une évidence est apparu au XIXème siècle. Palmer, ce fut d'abord un homme, un militaire et un Anglais, des traits qui ne semblent en rien le rapprocher de l'univers des grands vins et de Bordeaux. Et pourtant !

La diligence avançait,
bringuebalant, secouée sur la route accidentée entre Bordeaux et Paris en ce jour de juin 1814 mais pour Charles Palmer, un jeune officier britannique, ce voyage avait le goût du bonheur et de la victoire. Il venait d’hériter une petite fortune et quelques jours avant d’être promu Colonel – ayant vaillamment mené son escadron de Hussards, le dixième régiment du prince de Galles, contre Napoléon en Espagne – Palmer s’apprêtait à faire son retour triomphal à Londres. Son poste d’aide de camp du prince Régent ne manquerait pas de lui ouvrir les portes de la haute société. Fils d’un respectable brasseur et politicien de Bath, jeune bourgeois gonflé d’ambitions, il voyait enfin ses aspirations se concrétiser sous ses yeux. En ce petit matin décidément parfait, Palmer était assis dans la diligence aux côtés d’un compagnon de voyage particulièrement intrigant : une jeune femme noble, veuve depuis peu, du nom de Marie Brunet de Ferrière.

HUSSART - Gravure 19e

Depuis le début du XVIIIe siècle, les Gascq, une grande famille de Bordeaux, étaient à la tête du domaine de Gascq dont les clairets, très recherchés, se vendaient à prix d’or. « C’est un rival de Château Lafite ! » s’enflamma la jeune veuve, prise dans son récit. Hélas, après des années de révolution et de guerre puis la mort prématurée de son mari, Blaise Jean Charles Alexandre de Gascq, elle était contrainte de vendre son domaine en dessous de sa valeur et avait pris la route de Paris, le cœur lourd, pour trouver un acheteur. Prévenant, l’officier écouta son récit et s’enquit de la façon dont il pourrait l’aider. Elle lui sourit, reconnaissante. À la fin du voyage, Charles Palmer possédait un château où il n’avait jamais mis les pieds.

Car dans les yeux de Marie Brunet de Ferrière,
il avait vu quelque chose de bien plus puissant que le seul domaine, relativement petit et ancien, qu’il venait d’acquérir : il avait reconnu l’élan de ses propres passions et ambitions. Il le nomma donc Château Palmer et n’eut de cesse depuis ce jour de 1814 d’y consacrer sa fortune et son énergie. Il acheta terres et vignobles alentour jusqu’à atteindre bientôt 163 hectares, de Cantenac à Issan et Margaux. Il fit construire des logements pour les petites mains du vignoble, un chai abritant 15 fûts de chêne et trois pressoirs, installa des équipements modernes. C’était le château d’une nouvelle ère.

Sur le plateau de Margaux, les sols allaient révéler leur potentiel, cette capacité à produire des vins d’un raffinement exquis. Pourtant, en cette première moitié du XIXe siècle, le Londonien fréquentant les clubs et dont le goût dictait le marché du vin, avait encore une préférence pour les nectars puissants bien plus que pour la finesse et la subtilité. Les bordeaux réservés au marché britannique n’étaient-ils pas systématiquement renforcés à l’aide de vins du Rhône ou même d’Espagne ? Mais Charles Palmer avait une vision : son vin dépasserait les clivages des modes et serait le reflet, l’expression, d’un lieu unique, non pas juste le produit d’un marché répondant à une demande.

Une histoire savoureuse, issue des Mémoires d’un certain Capitaine Gronow, évoque ainsi une dégustation du Clairet de Palmer organisée par le Prince Régent. Tout avait bien commencé... Goûtant le vin, le prince, citant Shakespeare, déclara même que son bouquet était semblable au « holy Palmer’s kiss » (semblable au baiser des pèlerins, citation issue de Roméo et Juliette). L’assemblée, appréciant le bon mot, applaudit. Soudain, Lord Yarmouth, un rival de Palmer, demanda à ce que le clairet habituellement servi à la table du prince – un « hermitagé » c’est-à-dire un bordeaux mélangé avec du vin du Rhône pour le renforcer, pratique courante à l’époque – soit apporté pour faire la comparaison, ainsi qu’un plateau de sandwichs aux anchois. Comme de bien entendu, sur un tel met, l’accord se révéla catastrophique pour Palmer et ses parfums délicats. Sans surprise, l’assemblée jugea le clairet puissant bien supérieur. Charles Palmer enrageait : « Maudit Yarmouth ! » Cette soirée, se souvient le Capitaine Gronow, a bien failli se conclure par un duel…

LORD YARMOUTH - Dessin 19e
« Charles Palmer avait une vision : son vin dépasserait les clivages des modes et serait le reflet, l’expression, d’un lieu unique. »

Avant-gardiste, dicté par son instinct et son flair, Palmer en oubliera la prudence. Il dépensera sans compter pour donner corps à son rêve et laisser son empreinte sur la terre de Margaux. Bientôt, ses investissements trop coûteux l’obligent à vendre à ses créanciers de la Caisse Hypothécaire, en 1843. Charles Palmer mourra avant de voir le château portant son nom entrer dans le panthéon des crus bordelais, le célèbre classement de 1855, mais son héritage ne disparaîtra pas avec lui. Il aura donné à Château Palmer son nom, son style, révélant au monde sa finesse, sa trame inimitable, tout en montrant la voie, celle qui à force de passion, de dévouement et de sacrifice mène au grand vin.