Qu’est-ce qu’un paysage ? Difficile à dire. Un paysage ne s’attrape pas. À peine se raconte-t-il. On a beau y mettre des mots, le photographier, le filmer – toujours, il échappe. C’est d’abord une sensation pure, fugace, comme celle qui vous envahit au milieu des champs après une nuée d’été, quand la terre chaude est soudainement saisie dans sa torpeur. Ce qui le définirait, ce seraient des milliers de sensations comme celle-ci, répétée des millions de fois, avec des milliards de nuances.
Le paysage est un tout. Un lieu limité, mais d’une profondeur illimitée, qui englobe toutes les choses (animées ou non) qui le constituent, aussi bien que celles qui le perçoivent. Personne n’est jamais en mesure d’attraper un paysage. Et c’est justement le signe qu’il est vivant. Il est furtif. Un paysage se sent, se goûte à peine puis s’évapore, chassé par toutes ses autres facettes à venir.Il se pense comme une trajectoire, une trame où chaque fraction de temps présent interagit constamment avec son passé – tous ses passés.


Le vin est un diamant capable de faire parler les sillons d’un paysage
La seule invention humaine qui soit en mesure d’opérer sa révélation, c’est le vin. Par le jeu incessant de ses métamorphoses, il constitue la porte d’entrée la plus sûre dans l’intimité du paysage qu’il représente. Il en est la clef de sol, le totem, le témoin perpétuel. Le vin est un diamant capable de faire parler les sillons d’un paysage, plus sûrement que ces chercheurs fous qui rêvaient de lire les poteries antiques pour en faire surgir le son des rues d’Athènes ou de Rome emprisonnés dans la terre glaise. À l’image du paysage auquel il est attaché, le vin parle autant du passé que du présent. Et celui qui ne comprend pas que nous sommes à chaque instant une multitude d’autres instants, ne peut saisir son infinie complexité.

Le millésime 2015 ne joue pas avec les apparences. Il se présente dans une grande clarté. C’est un vin voluptueux, optimiste, sûr de sa force, charismatique. Il couronne l’accomplissement d’un domaine qui, en 2015, venait d’accomplir entièrement sa révolution biodynamique. L’an 1 d’une nouvelle ère dans laquelle la pureté du fruit, libéré des processus d’adaptation, permet un contact direct avec les accents du terroir. Cette année-là, la météo avait été clémente, parfaite, avec un été chaud et sec et un beau temps durant les vendanges.

Ce qui confère à ce millésime une aura solaire, avec une dominante de fruits mûrs portée par des notes épicées, poivrées, évoquant le parfum des graines de coriandre ou les lumières ocres du curry de madras ; ces effluves qui sautent au nez lorsqu’on ouvre le tiroir à épices d’une maison de famille, éveillant des souvenirs de plats autant que des réjouissances à venir.
Un vin riche dans le sens le plus noble du terme – un vin-manifeste

C’est un vin complexe, parfaitement structuré, dessiné avec beaucoup de précision, plus sérieux qu’exubérant. Son grain est onctueux et très fin. Il ouvre de belles perspectives à l’imaginaire. Il est puissant sans être écrasant, comme on le dirait d’un chef d’œuvre d’architecture brutaliste. C’est un vin ancré, tangible, couronné. Un vin riche dans le sens le plus noble du terme – un vin-manifeste.

Le millésime 2015 est un vin au souvenir joyeux, celui d’un primeur créé dans l’abondance de soleil et de fruits qui a évolué avec un aplomb impressionnant. Comme s’il portait la mission de déclamer son paysage, son engagement, sa révolution et sa projection dans les temps à venir. Le millésime raconte les bienfaits de la patience. Il parle avec sagesse du temps gagné lorsqu’on agit avec conviction et justesse.
C’est un vin droit, sans faux-semblant, qui parle du temps, tout simplement. Son charisme nous ramène à une forme d’humilité face à l’immensité des métamorphoses à l’œuvre dans chaque seconde. Il nous rappelle à nos responsabilités, sans brutalité. Comme les trompettes dans une messe de Bach, le millésime 2015 surgit avec exubérance, charme et profondeur. Incontournable et magistral.

Ce millésime nous rappelle qu’être vivant, c’est être en perpétuelle métamorphose. Ne pas avoir de tabou. Être à l'affût, aux aguets, dans une écoute sincère de notre environnement. Évoluer, ne jamais rien prendre pour acquis, réagir avec souplesse. Où étions-nous il y a dix ans ? Qui étions-nous ? Ces pensées nous ramènent ici et maintenant. Nous n’étions qu’en partie la personne que nous sommes aujourd’hui. Qui serons-nous demain ? La vérité est dans le vin.

Photographie par Yann Rabanier. Texte par Paul-Henry Bizon