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La fée Viviane

Texte par Jill Cousin

Le village Palmer

La fée Viviane

Le village Palmer

La fée Viviane

Portrait d’une maraîchère qui met du cœur dans ses légumes.

La fée Viviane

En 2020, Château Palmer accueille sa maraîchère, et transforme un ancien espace dédié aux cultures ouvrières en potager nourricier. Tomatillo mexicain, courgette trompette, piment doux Jimmy Nardello, les premiers légumes sortent de terre quelques mois plus tard, issus de semences paysannes retenues pour leurs qualités gustatives et nutritives, plus que pour leurs rendements. Le paysage nourricier se précise.

À vingt ans, motivée par une déroute au bac d’anglais, Viviane Vincent-Tejero quitte Pauillac pour Monterey, en Californie. Rapidement, le séjour linguistique de la jeune femme vire au vert : un bachelor en sciences environnementales à l’UCSB, une thèse de licence sur l’impact écologique des fermes éoliennes offshore, la vie sauvage et les grands espaces. Embauchée par un laboratoire universitaire spécialisé en écologie terrestre, elle sillonne alors un ranch de 2000 hectares dans la vallée de Santa Ynez, peuplé de vaches et de pumas. Son sujet d’étude ? Les prairies natives, aux fleurs assoupies sous le brome et l’avoine des colons européens.

Après une dizaine d’années sur la côte Pacifique, retour dans son Médoc natal pour Viviane, qui coiffe une casquette de guide oenotouristique pour un grand cru classé. « C’est là que j’ai découvert la partie technique du vin. J’ai un temps hésité à me diriger vers la viticulture mais, à ce moment-là, je me butais à l’aspect monocultural, à l’inverse de mes valeurs... » Finalement, elle se surprend à rêver de légumes et s’intéresse à la culture en joualles, une méthode ancestrale qui associe vigne, maraîchage et agroforesterie dans une philosophie d’entraide végétale. « Je voulais faire quelque chose de concret : produire et nourrir. Le ventre vide, toute poésie est illusoire. »

« Le ventre vide, toute poésie est illusoire »
Viviane Vincent-Tejero — maraîchère de Château Palmer

Plusieurs personnes lui parlent du Château Palmer et de son projet d’agriculture holistique, qui associe viticulture, élevage et maraîchage. La rencontre avec Sabrina Pernet, directrice technique en charge du pôle viti-œno et de l’ensemble des équipes de production est une révélation. « Les équipes ont à cœur cette notion circulaire, ce bon sens et cette envie d’autonomie. Le brief était simple. Sabrina m’a challengé : "Voilà cet espace qui n’est plus utilisé. Voyons ce que tu peux en faire." Le projet était lancé ! » Nous sommes alors en février 2020 et les premiers légumes sortent de terre en juillet.

En lieu et place d’une parcelle en jachères, autrefois dédiée aux cultures ouvrières, où certains salariés faisaient fleurir leurs légumes, se tient aujourd’hui le potager du château. « L’espace récupéré s’organisait comme un jardin partagé. Lorsque je suis arrivée, un ancien cultivait encore son petit lopin de terre », explique la productrice lorsqu’elle nous escorte dans la visite du terrain de 1 600 mètres carrés, niché de l’autre côté de la mythique D2, à un jet de pierre du château.

A son arrivée au jardin, Viviane observe les plantes indicatrices présentes afin de comprendre le sol, au départ tassé et surinvesti par l’armoise. Dans la construction de son premier potager, contrainte de devoir composer avec un espace restreint, elle applique ses connaissances en gestion de la biodiversité aux techniques de maraîchage bio-intensif de Jean-Martin Fortier. Le Québécois a su faire de sa micro-ferme biologique, Les Jardins de la Grelinette, un modèle de productivité et ce, dans le respect des femmes et des hommes qui la cultivent en l'inscrivant dans son territoire.

Jean-Martin Fortier, dans son livre Le Jardinier-maraîcher, théorise ainsi sa méthode : « le terme de “maraîchage bio-intensif” fait communément référence à une méthode horticole qui cherche à maximiser le rendement d’une surface en culture avec le souci de conserver, voire d’améliorer, la qualité des sols », une préoccupation elle aussi essentielle pour la maraîchère du château.

Le québécois est célèbre pour avoir popularisé les cultures sur planches bio-intensives. Lesquelles consistent à travailler le sol sur une vingtaine de centimètres sans mélanger les différentes strates dans le but de respecter la diversité biologique du sol, source de fertilité, et de faciliter l’enracinement des végétaux. On y ajoute ensuite des éléments destinés à nourrir la vie du sol : compost, fumier ou autres matières organiques vertes et brunes. Lorsque les planches sont toutes de même longueur et de même largeur, elles permettent d’optimiser la productivité et nécessitent alors un nombre d’outils réduits pour leur exploitation. « Nous travaillons essentiellement la terre avec une campagnole, un outil mécanique, qui ne nécessite pas de pétrole », explique Viviane.

Sur lesdites planches, on observe une rotation rapide : dès qu’une culture arrive en fin de production, elle est remplacée par une autre afin d’en optimiser la surface. Viviane associe également, sur un même espace, des cultures basses comme les choux pak-choï et des cultures en hauteur, comme les fèves ou les haricots, ce qui permet de multiplier la zone de production par deux. « Enfin, il y a certains légumes, trop gourmands en place et nécessitant un cycle de production long, qu’il n’est pas judicieux de produire pour le château et qu’il vaut mieux acheter à des maraîchers locaux, c’est le cas de la pomme de terre de conservation ou des alliacés. »

« Les équipes ont à cœur cette notion circulaire, ce bon sens et cette envie d’autonomie »
Viviane Vincent-Tejero — maraîchère de Château Palmer

A ce premier espace de production, s’est ajoutée au printemps 2024 une seconde parcelle de la même surface, située au cœur de l’îlot Boston, où évoluent déjà vaches, cochons et chèvres. Cette nouvelle terre en culture devrait permettre de continuer à avancer vers l'autonomie légumière de la cantine vigneronne de Château Palmer. Le projet ? Proposer chaque jour de la semaine aux équipes de manger ensemble autour d’un menu sain et équilibré, pour renouer avec une alimentation ancrée et qui fait sens. « Durant les vendanges 2023, environ 85% des légumes servis ont été cultivés par nos soins, et ce, sans amputer la consommation à venir de la Table du Château. C’était un vrai défi ! » confie fièrement la maraîchère, dont l’équipe s’est agrandie à la mesure de la tâche avec l’arrivée précieuse de Julien.

Soucieuse de la biodiversité et de la pluralité gustative, Viviane s’est rapprochée du Conservatoire du Goût de Floirac pour construire le répertoire légumier de Château Palmer. Fondée en 2017 par Rachel Lagière et Christophe Collini, l’association œuvre à la préservation de semences paysannes qui ont du goût, qualité qui prime ici sur le rendement. Ainsi la maraîchère et les chefs du château, Jean-Denis le Bras et Coriolan Pons, découvrent le parfum subtil de l’aubergine Kamo, qui peut se travailler crue, ou renouent avec le parfum des crosnes. « Nous construisons le planning de culture ensemble. Nous nous sommes attardés longuement sur le choix des variétés. Nous avons fait beaucoup de dégustations, de tomates par exemple, afin de décider ensuite quelles variétés seraient cultivées ». Puis les compères font un point hebdomadaire. « Je leur indique quels légumes sont prêts et en quelle quantité. J’arrive avec ce qu’ils m’ont demandé et j’ajoute souvent quelques légumes supplémentaires dont le profil aromatique me semble pertinent pour leur cuisine ».

Lesdits légumes, dorlotés avec la même exigence qui préside à la culture de la vigne, sont ensuite sublimés par les deux chefs et proposés à une poignée de grands amateurs de vins et de haute gastronomie à la Table de Palmer, ouverte depuis peu dans les salons de l’iconique château. Contribuer à nourrir sainement, chaque midi, une pleine communauté vigneronne et ses exigeants visiteurs d’un jour, voilà l’ambitieux projet qui attend notre pétulante maraîchère.

Photographie par Anne-Claire Héraud & Sarah Arnould