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L’accord terre et mer

Texte par Goulven Le Pollès

Le village Palmer

L’accord terre et mer

Le village Palmer

L’accord terre et mer

Du Finistère au Médoc, l’art de la table selon Jean-Denis Le Bras.

L’accord terre et mer

Malgré son mètre quatre-vingt-dix-huit (sans la toque), ce colosse aux mains agiles n’a jamais eu le vertige. Fricotant pour la haute d’entre Londres et Hong Kong, décrochant des étoiles à peu près partout où il est passé et caressant le graal de très près – lui qui était pressenti pour glaner trois macarons lorsqu’il officiait, de 2016 à 2020, à la Grande Maison de Bordeaux.

Éternel baroudeur griffé par la gastronomie de palace, Jean-Denis Le Bras a roulé son tablier aux quatre coins du monde : Paris, Hong Kong, Mayfair, Saint-Barth ou Carantec, en baie de Morlaix. Car le natif de Landivisiau, capitale historique du cheval breton, est un homme pressé, impatient, vif. Il parle vite, pense vite, marche vite, s’agite, percute, gigote et raccourcit les phrases pour passer plus rapidement aux suivantes. Mais à Château Palmer, il a décidé de prendre son temps. Pour mieux s’enraciner, s’immiscer dans un projet au long cours, et se mettre au diapason de l’écosystème qui l’entoure.

« Un bon cuisinier se remet toujours en question »
Jean-Denis Le Bras — Chef exécutif, Château Palmer

De ses dix-huit années passées aux côtés de Pierre Gagnaire pour qui il a chassé les étoiles sur les quatre continents, il garde chevillées au corps la loyauté, la rigueur, et cette certitude que rien n’est jamais acquis. « Un bon cuisinier, c’est celui qui déconstruit, remet toujours en question ses plats, et les questionne jusqu’au moment de l’envoi. Aujourd’hui encore, que je cuisine pour des proches, des amis ou pour les clients de Château Palmer, j’ai le trac… »

Alors il tente, flaire, fouille, expérimente les goûts sans jamais dénaturer les produits. A l’image de ces Saint-Jacques qu’il décortique vivantes avant de les envelopper d’un délicat voile de pamplemousse truffé au cerfeuil : quatre ingrédients, rien de plus, sinon la promesse d’un grand frisson. Ou encore cette salade du potager juste cueillie – mizuna, pousses de moutarde et betterave – transformée en volumineux édifice puis discrètement ourlée d’un trait de vieux balsamique du domaine. Sans oublier ce plat superposant œuf du poulailler confit, tranche de mortadelle et calamar grillé juste saisi sur un parterre de légumes croquants du jardin – un mémorable surf & turf d’entre Guilvinec et Bologne. « Avec des produits pareils, nul besoin de pousser une cuisson ou même de rajouter du sel », souffle-t-il avec une fausse désinvolture.

« Tout a du sens ici, et l’on prend le temps d’en donner aux choses »
Jean-Denis Le Bras — Chef exécutif, Château Palmer

Au projet Palmer, Jean-Denis a adhéré dès sa toute première visite en 2021, à l’occasion d’une dégustation primeurs à la barrique. « Tout a du sens ici, et l’on prend le temps d’en donner aux choses. Il y a de la beauté, une vraie sincérité. Les vaches nourrissent le potager qui, en retour, nourrit le village et la personne en charge des vaches… C’est une sorte de ferme en fonctionnement circulaire ». Un écosystème vertueux que son second de cuisine, le talentueux Coriolan Pons, a eu le temps de défricher, depuis sa prise de marque au cœur de l’espace nourricier à l’été 2022. C’est donc en duo que la brigade finistérienne de Château Palmer planche désormais sur de nouvelles recettes, de nouvelles associations de saveurs, de nouvelles cuissons et de nouveaux dressages, avec toujours comme ligne directrice, cette obsession de l’ultra-local.

Las des palaces, Jean-Denis revient à l’essentiel. Depuis sa nouvelle cuisine immaculée où trônent seulement quelques indispensables – notamment son barbecue Binchotan sur lequel bronzent les comestibles –, il puise dans les jardins immédiats un florilège d’herbes potagères, quelques laitues délicatement humectées par la rosée matinale, ou encore les racinaires qui auront eu le courage d’affronter l’hiver. Un butin végétal sur lequel Viviane, la maraîchère en cheffe, veille avec la générosité d’une nourrice, et que Jean-Denis débottera à l’heure du repas, afin d’agrémenter les nobles créatures en provenance de ses amis fournisseurs, ou issus du propre cheptel de Château Palmer : veaux, vaches, agneaux, porcs gascons… Qu’il glissera, le geste sûr, dans le creux d’assiettes picturales, précises, non dénuées de gourmandise.

« Mes œuvres sont mes boussoles, elles me suivent partout »
Jean-Denis Le Bras — Chef exécutif, Château Palmer

Brosser le portrait de Jean-Denis, c’est aussi se plonger dans son rapport aux matières nobles : la musique, l’art contemporain, la photo, le vin, la littérature… Des passions qu’il évoque d’abord timidement, avec la pudeur d’un premier de la classe qui cherche encore sa légitimité, avant de poursuivre sur le ton de la confidence : « Lorsque je travaillais au restaurant Sketch de Londres, je passais tous les jours devant cette boutique de Shoreditch et je lorgnais sur un triptyque photographique de Martin Parr. Je n’avais pas les moyens à l’époque… Le jour où j’ai décroché la deuxième étoile, j’ai poussé la porte du shop et je me le suis offert. »

« Si je suis fasciné par Francis Alÿs, Ricardo Cavallo, Gerhard Richter, Andy Goldsworthy ou encore Dolorès Marat, aujourd’hui, je n’achète que les œuvres des artistes que j’ai rencontrés, et dont certains sont devenus des amis », lâche-t-il en évoquant également Julien Mignot et Charles Fréger. « Car, comme en cuisine, l’art a trait à l’humain, au partage, à la passion. J’ai besoin de connaître la personne pour comprendre la cuisine, et par extension, l’artiste ». Des hommes, des femmes et des œuvres qu’il a toujours trimballés avec lui, à l’image de ses vinyles des Beastie Boys, de Dominique A, Rebeka Warrior ou Fontaine D.C., parfois même pour seulement quelques mois, alors que Pierre Gagnaire le mettait au défi de reprendre les cuisines d’un restaurant situé à 1500 km de là. « Mes œuvres sont mes boussoles, elles me suivent partout ».

« Lorsque Monsieur Gagnaire me présentait un projet, quel qu'il soit, j’acceptais, sans même parler finance. La confiance était totale ». Au terme de près de deux décennies à parcourir les cuisines du monde, Jean-Denis, qui se définit comme un « cuisinier qui cuisine, et non un cuisinier de bureau », amorce un nouveau départ.

Finis les brigades à rallonge et les matières premières du bout du monde. Du piano au garde-manger, il n’y a désormais qu’un pas. Pour garnir la Table de Palmer, le chef pioche à l’envi dans le potager, la serre attenante, les chambres de maturation pour la pêche et la viande, délaissant la plupart du temps les poissons d’ailleurs au profit des fretins du coin, avec toujours ce souci de cuisson majuscule et ces grandes sauces de maître-coq. Une cuisine d’instinct, locale, saisonnière et éminemment moderne, servie dans les salons napoléoniens feutrés du château des Pereire.

« Pour produire un vin d’excellence, il faut être bien nourri »
Jean-Denis Le Bras — Chef exécutif, Château Palmer

Mais Jean-Denis entend aussi nourrir les locaux, à commencer par l’écosystème Palmer, au sein de la future cantine vigneronne, plus accessible, qui sera également ouverte au public. « Les châteaux impressionnent derrière leurs grandes grilles. Je veux que les gens du coin osent pousser cette grille pour s’attabler à la cantine vigneronne. On y proposera une cuisine simple, bonne, locale, équilibrée avec des produits non transformés. Une terrine de campagne et des pickles de légumes du potager, des carottes râpées avec quelques herbes du jardin, un céleri-rémoulade bien assaisonné, une poire pochée au vin rouge, de grosses cocottes à partager pour les gens du village, de la vigne, du chai… Je veux en faire un lieu vivant, de lien et de partage ».

A peine en poste au château, dans le feu des vendanges 2023, Jean-Denis cuisinait pour les troupes une généreuse volaille grillée en crapaudine car « pour produire un vin d’excellence, il faut être bien nourri ». Bienveillant jusqu’au-boutiste, sensible intransigeant, le grand chef semble plus que jamais à sa place. Celui qui aura touché au cœur son mentor Pierre Gagnaire en lui préparant un simple pique-nique lors d’une sortie en mer s’est donné une nouvelle mission : incarner le Village Palmer avec une cuisine de l’âme.

Texte par Goulven Le Pollès. Photographie par Olivier Metzger & Anne-Claire Héraud

Né à Landivisiau dans le Finistère, Jean-Denis Le Bras, fils d’un couple de transporteurs, découvre dès le plus jeune âge la bonne cuisine et les produits du terroir auprès de son grand-père, un ancien cuisinier. De 2007 à 2022, il tutoie les étoiles auprès d'un monument vivant de la haute gastronomie mondiale, Monsieur Pierre Gagnaire, de Saint-Barthélemy à Londres et de Hong Kong à Bordeaux, où il pilote quatre ans durant La Grande Maison de Bernard Magrez. Jean-Denis Le Bras rejoint Château Palmer en 2023 en tant que chef exécutif de la propriété.