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Palmer & vous

Gilles Bœuf

Biologiste
Bordeaux
Le titre est réducteur compte tenu du CV. Chercheur pendant 20 ans au Centre national pour l’exploitation des océans, directeur de l’Observatoire océanographique de Banyuls-sur-Mer, président du Muséum national d’histoire naturelle...

... Professeur invité au Collège de France, conseiller scientifique au cabinet de la ministre de l’Écologie Ségolène Royale, président du conseil scientifique de l’Agence française pour la biodiversité… Le parcours de Gilles Bœuf donne le tournis. À l’inverse, depuis la pointe de son Finistère d’adoption, lui l’enfant du Pays de la Loire a toujours su où il allait : « à 8 ans, je savais que je serai chercheur en biologie ». Les années 2000 ont fini par semer le doute…

Comment êtes-vous venu à la biodiversité ?

Par la lecture. En 2001, je tombe sur un article de Stephen R. Palumbi publié dans la revue américaine Science. D’après ce biologiste de l’Université de Stanford, le plus grand moteur des changements sur Terre est l’humain. Je tombe des nues. Moi qui ai passé ma vie à étudier les êtres vivants et leur(s) relations avec leur environnement, en un mot la biodiversité, je serai passé à côté d’un sujet aussi majeur ? Car, il est de taille… Imaginez : depuis 1860, la population humaine a été multipliée par sept, les  rendements agricoles ont été multipliés par 10, la Terre compte 23 milliards de poulets pour 8 milliards d’habitants, l’alimentation représente 15% du prix du panier des ménages contre 50% il y a 50 ans ! Boom de l’agriculture, surconsommation, low cost, urbanisation à un rythme effréné… affectent désormais nos vies au quotidien. Sur ce constat, mes vues changent. Mes travaux aussi. Les interrelations plus spécifiques entre l’humain et le vivant me portent depuis.

Justement, quel est votre quotidien aujourd’hui ?

Jeune retraité, je lis, je consulte, je publie... Sur le jour d’après, notre rapport à l’océan, le traitement des animaux, l’enseignement des sciences de la vie et de la Terre… Je conseille aussi. Durant le confinement, j’ai formé plus de 200 chefs d’entreprise de tous horizons à la culture de l’impact : comment poursuivre leur activité tout en préservant leur environnement, en fait comment prospérer, éduquer sa famille, cultiver ses amis, créer de l’emploi sans… détruire l’endroit dans lequel on habite, ou celui des autres ! Dans la même veine, en tant que membre du Conseil d’Administration des fondations d’Hermès, d’Icade et d’Engie, j’accompagne ces entreprises vers une gestion plus raisonnée de leurs activités. La preuve s’il en est de l’étendue des actions à mener, chacun à son niveau.

Autre fait remarquable, plus proche de mon sujet de prédilection celui-là, le socio-écosystème vigne témoigne d’une diversité génétique folle. Avec les espèces Vitis et Homo sapiens y interagissent des centaines de millions de bactéries, protistes, champignons, plantes, animaux… Tout du moins, dans le meilleur des cas, comme à Château Palmer.

Et le vin dans tout cela ?

Une passion ! D’abord en tant que consommateur averti et modéré, notamment des blancs de Bourgogne. Je suis fan de Meursault, Puligny-Montrachet ou encore de Chassagne-Montrachet. Mais aussi, dans une certaine mesure comme… viticulteur. L’Observatoire océanographique de Banyuls-sur-Mer que j’ai dirigé de 1999 à 2006 est propriétaire de 14 hectares de vignes en AOC Collioure et Banyuls. Nous avions une cave particulière reprise aujourd’hui. De quoi mesurer la pugnacité du monde vigneron, en particulier sur des terroirs aussi accidentés. Cela force l’admiration ! Autre fait remarquable, plus proche de mon sujet de prédilection celui-là, le socio-écosystème vigne témoigne d’une diversité génétique folle. Avec les espèces Vitis et Homo sapiens y interagissent des centaines de millions de bactéries, protistes, champignons, plantes, animaux… Tout du moins, dans le meilleur des cas, comme à Château Palmer. 

Quel cadre ! Jamais je n’aurais cru un jour pouvoir entrer dans ce domaine, encore moins y être invité, notamment pour déguster cinq vins : Alter Ego 2009, Château Palmer 2005 et 1995, Historical 2018 et enfin le Vin de Paille. Un moment suspendu, grandiose… À part. Car, en viticulture comme ailleurs, l’humain a fait des ravages, en privilégiant la quantité à la qualité, au prix d’un appauvrissement dramatique des sols. Réagir s’impose. Comment ? En bannissant les pesticides – des solutions alternatives existent -, en retrouvant plus d’humilité dans la conduite de nos vignes, en privilégiant une consommation mesurée, avec plaisir et à des prix raisonnables… Sans parler de facteurs moins évidents. Par exemple, le rôle des femmes. Elles participent naturellement de la biodiversité, en étant plus que les hommes particulièrement à l’écoute du vivant. J’en suis convaincu. À bon entendeur…