Pendant les vendanges, les effectifs passent de 70 à 230 travailleurs, des grappes d’hommes et de femmes, maillons essentiels de la récolte, qui unissent leurs forces pour acheminer un maximum de raisin vers le cuvier. C’est là que tout converge, que tout se joue, sous cette grande halle qui jouxte le chai. Le cœur sonore de la ruche, où l’excellence d’un millésime s’élabore avec une méticulosité de tous les instants. Une demi-douzaine de vignerons aguerris y réceptionnent les palettes et trient les baies, d’abord à la main, avant l’indispensable renfort des machines : érafloir, table vibrante, trieuse optique qui, à l’aide de caméras, détecte et éjectent les baies pas assez mures ou abîmées. Seuls les fruits de qualité optimale rejoignent le cuvon — à une vitesse de 152 mètres par minute —, puis la cuve dans laquelle les attendent 4 semaines de cuvaison.
Autour des machines, les bras s’activent et les cerveaux turbinent. On pèse les grappes, les baies, les déchets, on corrige les estimations, on réévalue. « Ici, c’est la tour de contrôle », sourit Fabien qui, devant son écran d’ordinateur, veille à la traçabilité de chaque arrivage. Les vendanges, dont on connaît l’exigence physique, sont aussi un calcul sans fin : valse des palettes, nombre d’hectolitres par hectare, densité de la cuve, suivi des températures... Il faut sans relâche s’adapter, réajuster.
Ce travail aussi crucial qu’infinitésimal se poursuit à l’étage, avec la dégustation technique : onze bouteilles sont alignées sur la table, qui contiennent un échantillon de chaque cuve, à grumer, à comparer. Thomas et Sabrina vérifient que la fermentation porte ses fruits et commentent déjà le futur millésime, parcelle par parcelle, assistés par Olivier, maître de chai, et Hervé, chimiste de formation, qui a préparé le « pied de cuve » avec des levures naturelles, préalablement étudiées au microscope dans le laboratoire.
Dans les chais, les stagiaires accompagnés des équipes « remontent » le jus en haut de la cuve, qui coule de nouveau sur les baies et le marc de raisin, s’en imprègne, se colore, se structure. Une opération répétée trois fois par jour. « Le squelette du vin se dessine dès ce moment-là, explique Hervé. Les bases du millésime sont posées, ses arômes principaux ». Pendant la semaine de fermentation, « on goûte tous les jours toutes les cuves, soit cinquante-six au total », précise Olivier. Une science de pointe, qui convoque le nez, le palais, requiert mémoire et intuition, un instant décisif où quatre personnalités vont dessiner l’âme d’un vin en imaginant les combinaisons possibles et en anticipant les futurs assemblages.
Place ensuite à une autre dégustation, plus légère et roborative, récompense des efforts déployés tout au long de l’année : le déjeuner partagé sous la tente, à deux pas du chai, traditionnel moment de trêve, de détente, où se mêlent les vignerons, les ouvriers du chai et toutes les forces vives du domaine... jusqu’aux poules auxquelles la bienveillante tablée destine les derniers morceaux de pain qui traînent sur la nappe à carreaux.