NOUS UTILISONS DES COOKIES POUR AMÉLIORER VOTRE EXPÉRIENCE
NOUS UTILISONS DES COOKIES POUR AMÉLIORER VOTRE EXPÉRIENCE

Le temps des vendanges

Texte par Erwan Desplanques

Fil rouge

Le temps des vendanges

Fil rouge

Le temps des vendanges

Le rythme de la propriété s’accélère, entre transmission, fièvre et retrouvailles.

Le temps des vendanges

Les vendanges de Château Palmer donnent une impression de course calme, de frénésie sous contrôle. Chacun connaît suffisamment sa partition pour l’ajuster à temps, réagir sans heurt aux aléas météorologiques, entamant en septembre un marathon de plusieurs semaines dans un climat convivial et plutôt serein.

« Pour nous, c’est un moment joyeux. Le reste de l’année, on travaille séparément, en îlots, par équipes. Là, on se regroupe enfin pour assister au bouquet final. »
Driss — Vigneron et gardien du domaine

Vigneron et gardien du domaine, Driss résume on ne peut mieux l’état d’esprit général quand sonne l’heure de la récolte : « Pour nous, c’est un moment joyeux. Le reste de l’année, on travaille séparément, en îlots, par équipes. Là, on se regroupe enfin pour assister au bouquet final. » Autour de lui, une quinzaine de vignerons sont à pied d’œuvre : les « coupeurs » délestent la vigne de ses belles grappes de merlot ou de cabernet, relayés par les « porteurs » qui, le dos harnaché d’un porte-cagettes, vont et viennent entre les ceps et le camion. Les permanents de Château Palmer font connaissance avec les saisonniers de passage. Pendant les vendanges, les effectifs passent de 70 à 230 travailleurs, des grappes d’hommes et de femmes, maillons essentiels de la récolte, qui unissent leurs forces pour acheminer un maximum de raisin vers le cuvier. Ici, on veille autant à distinguer les raisins issus de chaque parcelle qu’à rassembler celles et ceux qui les coupent. On compartimente le fruit ; on brasse les individus.

Pendant que les experts Thomas Duroux, directeur de Château Palmer, et Sabrina Pernet, directrice technique, scrutent les vignes avec rigueur, sentent, goûtent les baies, comparent, décident des parcelles à vendanger en priorité et donnent les instructions, d’autres découvrent le métier : depuis plusieurs années, des réfugiés ou des personnes en grande précarité intègrent l’équipe et les réflexes vignerons, le temps de la moisson. Cet engagement avec SOS Solidarités se double d’un partenariat, pour les travaux en vert, en juin, avec l'académie Younus pour l’insertion professionnelle de cinquante jeunes du quartier Grand Parc, à Bordeaux.

Driss, vigneron aguerri, nous partage un souvenir fort : « En 2022, pour la première fois, j’ai encadré une équipe de réfugiés originaires d’Irak, d’Iran ou d’Afghanistan. La plupart d’entre eux découvraient le travail de la vigne, les vendanges. Mon rôle était de les former, de les encourager, parfois de leur remettre simplement le pied à l’étrier. Cette dimension sociale, humaine, cette transmission de savoir comptent beaucoup pour moi. Un jeune m’a particulièrement touché, un opposant politique échappé de prison pour rallier la France. Il s’est très vite distingué dans les rangs. Le sens du rythme, l’habileté, le coup de main. Je l’ai invité à rejoindre l’équipe dès l’hiver suivant. J’espère qu’il restera longtemps à nos côtés. Il est taillé pour ce métier… »

« Cette dimension sociale, humaine, cette transmission de savoir comptent beaucoup pour moi. »
Driss — Vigneron et gardien du domaine

Les vignerons de la maison encadrent les nouveaux, orientent, transmettent les gestes pendant que le reste de l’équipe s’active au cuvier. C’est là que tout converge, que tout se joue, sous cette grande halle qui jouxte le chai. Le cœur sonore de la ruche, où l’excellence d’un millésime s’élabore avec une méticulosité de tous les instants. On réceptionne les palettes, on trie les baies à la main, avant l’indispensable renfort des machines : érafloir, table vibrante, trieuse optique qui, à l’aide de caméras, détecte et éjecte les baies pas assez mures ou abîmées. Seuls les fruits de qualité optimale rejoignent le cuvon — à une vitesse de 152 mètres par minute —, puis la cuve dans laquelle les attendent entre deux et quatre semaines de cuvaison.

Autour des machines, les bras s’activent et les cerveaux turbinent. On pèse les grappes, les déchets, on corrige les estimations, on réévalue. C’est la tour de contrôle. Fabien, devant son écran d’ordinateur, doit veiller à la traçabilité de chaque arrivage. Les vendanges, dont on connaît l’exigence physique, sont aussi un calcul sans fin : valse des palettes, nombre d’hectolitres par hectare, densité de la cuve, suivi des températures... Il faut sans relâche s’adapter.

Ce travail aussi crucial qu’infinitésimal se poursuit à l’étage, avec la dégustation technique : une dizaine de bouteilles alignées sur la table, qui contiennent chacune un échantillon de chaque cuve, à sentir, grumer, comparer. Thomas et Sabrina vérifient que la fermentation porte ses fruits, commentent déjà le futur millésime, parcelle par parcelle, assistés par Olivier, maître de chai, et Hervé, qui a préparé le pied de cuve avec des levures naturelles dont il a le secret.

Dans les chais, les stagiaires accompagnés des équipes « remontent » le jus en haut de la cuve, qui coule de nouveau sur les baies et le marc de raisin, s’en imprègne, se colore, se structure. Une opération répétée trois fois par jour. Le squelette du vin se dessine dès ce moment-là. Les bases du millésime sont posées, ses arômes principaux. Pendant la semaine de fermentation, on goûte tous les jours toutes les cuves, soit cinquante-quatre au total ! Une science de pointe, qui convoque le nez, le palais, requiert mémoire et intuition, un instant décisif où quatre personnalités vont dessiner l’âme d’un vin en imaginant les combinaisons possibles et en anticipant les futurs assemblages.

Place ensuite à une autre dégustation, plus légère et roborative, récompense des efforts déployés tout au long de l’année : le déjeuner partagé sous la tente, à deux pas du chai, traditionnel moment de trêve, de détente, où se mêlent les vignerons, les ouvriers du chai et toutes les forces vives du domaine... jusqu’aux poules auxquelles la bienveillante tablée destine les derniers morceaux de pain qui traînent sur la nappe à carreaux.