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Le jardinier du château

Texte par Vincent Remy

Le village Palmer

Le jardinier du château

Le village Palmer

Le jardinier du château

Vincent plante, pique, taille, magnifie les volumes et les couleurs.

Le jardinier du château

Il aimait les vaches, se voyait éleveur, mais, accablé par le sort fait aux animaux, il s'est tourné vers l'horticulture. Dans le village de Château Palmer, Vincent Le Falher sculpte toute l'année de merveilleux parterres. Il plante, pique, taille, magnifie les volumes et les couleurs.

Vincent Le Falher grandit en Bretagne
à l'orée des années 2000, quelque part entre campagne et océan. Autour de la maison familiale et de son immense jardin, les voisins sont éleveurs de vaches : « J'étais tout le temps dehors, mon plaisir était d'enfiler mes bottes, et de simplement regarder la nature, les oiseaux sur les arbres, les grenouilles dans l’étang... ». C'est donc tout naturellement que Vincent se dirige vers des études agricoles, avec « option vache laitière », du côté de Ploërmel. Mais un premier stage dans une ferme d'élevage intensif fait naître les désillusions. Vincent est choqué par le traitement réservé aux animaux, l'absence d’empathie dont ils font les frais : « C'était un peu marche ou crève... » Naît en lui une conscience de l'absurde : « Dans ce type d'agriculture, il faut toujours faire vite, sans chercher à comprendre ce qu'on fait. Moi, j'aime comprendre… »

Vincent hésite. Il veut rester près de la nature, travailler la terre. Et envisage de se rapprocher du métier maternel, tourné vers les plantes. Il intègre un lycée horticole à Auray, dans le sud Morbihan, passe un bac pro en spécialisation paysagère et enchaîne sur un BTS. Diplôme en poche, il se fait embaucher au château de Penhoët, à Grand-Champ, ex-propriété de Karl Lagerfeld. Vingt-cinq hectares, essentiellement en bois. Son propriétaire rénove méthodiquement un jardin classique du XVIIIe siècle, de pelouses et de haies. « J'ai travaillé seul dans ce jardin pendant huit ans. On m'a demandé de faire un parterre de buis à la française devant le château. Dix mille plans de buis ! » Beaucoup de travail de plantation, puis de taille à la cisaille. Heureusement, il y a aussi des agrumes, un labyrinthe, des bassins. Et la forêt. L’hiver, le garçon bûcheronne, au milieu d’une importante faune sauvage.

« Il n’y aura jamais de produits dans mon jardin… »
Vincent Le Falher — Jardinier, Château Palmer

Au bout de ces huit années, Vincent quitte le château de Penhoët, se cherche un temps, avant de descendre en Gironde, d'où est originaire sa compagne. Contacté en janvier 2015 par Sabrina Pernet, directrice technique de Château Palmer, il se retrouve le mois suivant à pied d'œuvre dans le domaine : « Je suis heureux parce que le travail ici est complètement différent de ce que je pouvais faire avant. Très divers, et entièrement biologique. J'en avais assez de travailler avec des produits phytosanitaires. Le bio, on ne nous en parlait jamais à l'école, que ce soit en agriculture ou en paysage... » Vincent a pris ses fonctions dans un jardin dessiné, conçu et créé par d'autres que lui, mais qu'il s'est approprié, et qu'il fait vivre à sa manière, au point de dire naturellement : « Il n’y aura jamais de produits dans mon jardin… »

Le long des maisons du Village Palmer, les plantes vivaces s'épanouissent, hémérocalles, pivoines, digitales, géraniums... « Le problème des vivaces, c'est qu'elles disparaissent l'hiver pour ressurgir au printemps. Or, nous souhaitons avoir des fleurs le plus longtemps possible. Il faut des plantes qui arrivent très tôt en début d'année pour ramener un peu de vie. » Place aux bulbes, donc, mais aussi aux cistes, arbustes du maquis méditerranéen pas faciles à apprivoiser sur la côte Atlantique. Ici, dans la cour du cuvier, des anémones du Japon et des sédums d’automne à pétales rose vif. Plus loin, des gauras nains qui fleurissent dans un rose foncé. Et puis, les lavandes, les santolines… Vincent joue des contrastes de formes et de couleurs, apprécie qu'on puisse végétaliser les murs pour adoucir un bâtiment. Ici, un beau lierre grimpant, là un achebia qui ne demande qu'à s'élever, répandre ses fleurs pourpres à l'odeur vanillée.

« Ces vivaces avec leurs mélanges de couleurs, roses, violettes, c'est unique. Le jardin a été bien dessiné, avec des profondeurs, des reliefs, des endroits cachés, qu'on découvre en passant. Je taille au sécateur, je reviens régulièrement sur les vivaces et les arbustes pour garder cet aspect contrôlé mais naturel. Ce que j'ai aimé ici, c'est qu'on ne voulait pas que les plantes soient traitées au taille-haie ou à la cisaille, qui donnent des formes rondes ou carrées. Il n'y a que le sécateur qui permette une forme naturelle. »

Le combat n'est pas gagné, car le buis est aujourd'hui vecteur de maladies. Contre la pyrale, la chenille du buis, Vincent utilise du Scutello, une préparation à base de bacillus thuringiensis, qu'on pulvérise sur le feuillage. La chenille qui mange le feuillage ingère la bactérie, qui bloque son système digestif. « J'ai également trouvé à la Ferme de Sainte-Marthe, véritable conservatoire de semences et de graines bio, des nématodes qui parasitent la chenille, se reproduisent à l'intérieur, ressortent et conquièrent d'autres chenilles. » D'une façon générale, dans ce jardin, Vincent considère n'avoir que peu de maladies, par rapport à ses collègues : « Ils traitent, moi je laisse faire, et tout se passe bien. Et si des plantes sont vraiment atteintes, il est parfois plus malin de les laisser dépérir, de les enlever, et de conserver les plantes saines en place. Car traiter tous les massifs sensibilise la plante saine à la maladie. Les déséquilibres se créent et se multiplient. »

Planté face au château, le carré aromatique est la partie la plus ancienne du jardin, puisqu'il préexistait aux aménagements floraux. Un potager surélevé, en carrés, d'abord remplis de simples : sauge, sarriette, estragon, thym. Mais que Vincent fait évoluer au gré des demandes de la cuisine : racine de guimauve, hélichrysum, hysope, shiso ou plante à huîtres. Respectueux de tout ce qui a été entrepris depuis dix ans dans ce nouvel Eden, Vincent cherche des solutions novatrices. Il aimerait se passer du terreau, mélange de végétaux décomposés et de tourbes, utilisé pour regarnir le gazon, car il porte atteinte aux tourbières, écosystème de grande richesse organique et important puits de carbone...  Son idée ? Investir dans une machine qui crée de petits sillons dans la pelouse comme un scarificateur, injecte des graines de gazon dans ce sillon qu'un rouleau vient refermer. « On n'utiliserait ni terreau ni sable. Car le sable de rivière se raréfie... »

Au-delà du jardin de Palmer, il y a dans la tête de Vincent le respect du « jardin planétaire », un jardin qui ferait la part belle aux animaux. Un jardin bucolique, utile au paysage alimentaire, et désormais planté d’un bon millier d’arbres et de haies hérissées là où s’étendait naguère un « désert de vignes ». Le voilà devenu le gardien de cette forêt viticole toute neuve — 830 arbres plantés en trois jours en 2021, un « travail titanesque » — avec des abricotiers, des cerisiers, des pommiers qui, dans un même élan, enjolivent et consolident les parcelles. L’hiver, il badigeonne les troncs de bouse de vache ou d’argile, comme le pratiquaient les Anciens. Au printemps, il guette la floraison et savoure le spectacle. « J’adore faire ça, des expériences de gosse... » Comme lorsqu’il étudiait, à 14 ans, les oiseaux sur les branches et les grenouilles dans les étangs.